Depuis l’entrée en fonctions de la nouvelle administration Biden, le DOJ a réaffirmé à plusieurs reprises sa volonté d’intensifier les poursuites contre les entreprises, mais aussi contre leurs dirigeants et salariés impliqués dans des activités illégales.
Le 15 septembre 2022, le Département américain de la Justice (DOJ) a diffusé un nouveau Memorandum signé de Madame Lisa Monaco, Deputy Attorney General, qui s’inscrit dans le prolongement du précédent mémorandum du 8 octobre 2021.
Le Mémorandum indique en particulier comment les entreprises qui souhaitent bénéficier d’un crédit de coopération doivent aider le DOJ à identifier les individus impliqués dans les faits criminels; la manière dont le DOJ évaluera leurs programmes de conformité et les critères selon lesquels le DOJ pourra imposer un monitoring de conformité à l’entreprise sanctionnée à l’issue de la résolution de l’affaire; et les efforts attendus des entreprises qui sont soumises à des lois nationales encadrant la communication de documents aux autorités étrangères en vue de faciliter cette communication.
Il est essentiel pour toute entreprise française opérant aux États-Unis, et qui serait susceptible d’être soumise à la législation répressive américaine (notamment en maatière de FCPA, antiblanchiment, antitrust, …) de comprendre et d’intégrer les implications de ce Memorandum et d’envisager, dans le même temps, comment celles-ci sont susceptibles d’entrer en conflit avec la loi française.
I. Coopération de l’entreprise à l’enquête du DOJ sur les responsabilités individuelles
Les entreprises qui font l'objet d'une enquête aux Etats-Unis peuvent bénéficier d'un crédit de coopération lorsque les autorités de poursuite jugent qu’elles ont coopéré de manière satisfaisante aux investigations.
Ce crédit de coopération leur permet de bénéficier d’une réduction de la sanction encourue, en particulier dans le cadre d’un accord de poursuites différées (Deferred Prosecution Agreement) ou de non-poursuite (Non Prosecution Agreement).
Toutefois, le Mémorandum indique clairement que ce crédit de coopération sera réduit, voire refusé, si ladite coopération n’intervient pas en temps utile pour l’enquête, en particulier si l’entreprise transmet intentionnellement avec retard des informations dont elle dispose et qui sont pertinentes pour l’enquête.
De plus, il est clairement indiqué dans une forme de retour aux préconisations du Memo S.Yates du 9 Septembre 2015 que la coopération de l’entreprise doit en particulier avoir pour objectif d’identifier les dirigeants et salariés qui sont impliqués dans la commission des faits.
Ainsi, "pour bénéficier d'un crédit de coopération total, les entreprises doivent produire en temps utile tous les faits et preuves pertinents non couverts par le legal privilege et concernant les infractions commises par les individus".
A cet égard, le DOJ attend des entreprises concernées qu’elles lui communiquent en priorité toutes les preuves et informations dont elles disposent concernant les individus impliqués.
Cet élément est à mettre en relation avec l’instruction donnée aux procureurs de prioriser les investigations concernant les individus. Ainsi, les procureurs devront s’efforcer d’achever leurs investigations concernant les individus et de lancer les poursuites contre ces derniers avant ou dans le même temps que tout accord de résolution avec l’entreprise.
Très clairement, le DOJ entend donc intensifier les poursuites contre les individus impliqués dans les infractions économiques et financières et à cette fin, il continuera de s’appuyer sur les entreprises et les moyens d’enquête internes qu’elles sont susceptibles de mettre en oeuvre.
II. Position du DOJ en cas de poursuites exercées parallèlement par une autorité étrangère contre les individus
Conformément à l'approche qu’il a adoptée depuis plusieurs années, le DOJ envisage de renoncer à exercer ses propres poursuites lorsque les individus impliqués font déjà l'objet de poursuites à l’étranger pour les mêmes faits.
Afin d’évaluer s’il y a lieu de renoncer aux poursuites, le DOJ annonce qu’il tiendra compte de plusieurs critères, parmi lesquels la force du lien de rattachement entre l'affaire et le pays étranger, la volonté et la capacité de ce dernier d'engager des poursuites, et la peine probable qui sera imposée par le tribunal étranger.
L’objectif du DOJ sera ainsi de déterminer le degré de probabilité que les individus concernés fassent effectivement l’objet de poursuites par les autorités du pays étranger.
III. Lignes directrices complémentaires concernant la responsabilité des entreprises
- Prise en compte des antécédents de l’entreprise
Dans le prolongement du mémorandum du 8 octobre 2021 dans lequel le DOJ indiquait sa volonté de tenir compte des antécédents d'une entreprise avant d'engager des poursuites pénales à son encontre, le nouveau mémorandum fournit une liste des critères qui seront pris en compte.
Ainsi, le DOJ indique que :
- Il accordera la plus grande importance aux fautes récentes impliquant les mêmes salariés ou dirigeants, en particulier si cette récurrence indique des faiblesses dans le programme de conformité de l'entreprise. À l’inverse, les affaires ayant donné lieu à des résolutions pénales il y a plus de dix ans, ou à des résolutions civiles ou réglementaires il y a plus de cinq ans, auront moins de poids dans cette appréciation.
- Lorsqu'une entreprise opère dans un secteur hautement réglementé, ses antécédents en matière de non-conformité seront évalués par comparaison avec ceux d'entreprises opérant dans le même secteur ou un secteur similaire.
- Les antécédents d’une société acquise suite par exemple à une opération de M&A ne seront pas imputées à l’entreprise acquéreuse si cette dernière dispose d'un programme de conformité efficace et que la faute antérieure a été traitée de manière appropriée avant qu’une nouvelle faute soit commise.
- En principe, il ne sera pas possible de bénéficier plus d’une fois d’un DPA ou de NPA.
- Révélation spontanée des faits : critères et avantages liés
Le DOJ encourage fortement les entreprises à venir lui révéler spontanément les infractions commises en leur sein.
Il précise que la révélation sera considérée comme spontanée seulement si elle ne résulte pas de l’application d’une obligation légale et si elle n’intervient pas alors que l’entreprise est par ailleurs menacée d’une révélation imminente par un tiers ou d’une enquête des autorités.
En contrepartie de la révélation spontanée des faits, le DOJ s’engage à appliquer deux "principes fondamentaux" : (i) il ne cherchera pas à obtenir un plaider-coupable, si l’entreprise a coopéré et pris les mesures de remédiation adéquates ; (ii) il ne cherchera pas à imposer un monitoring au moment de la résolution de l'affaire si l’entreprise a elle-même déjà mis en place un programme de conformité efficace.
IV. Appréciation de la coopération de l’entreprise et lois étrangères sur la protection des données
Le DOJ relève que certaines entreprises sous enquête font valoir qu’elles sont dans l’impossibilité de coopérer pleinement car elles sont soumises à des lois nationales sur la protection des données et des informations qui leur interdisent de lui communiquer l’ensemble des documents pertinents pour l’enquête.
Dans un tel cas, le DOJ indique qu’il vérifiera si l’entreprise s’est efforcée de coopérer dans les limites autorisées par la législation étrangère ou si, au contraire, elle "cherche activement à tirer parti des lois sur la confidentialité des données et des statuts similaires pour soustraire des comportements inappropriés à la détection et à l'enquête des autorités américaines".
Les entreprises sont incitées à “naviguer” entre les législations applicables en vue de parvenir à une communication la plus étendue possible des documents pertinents.
S’agissant des entreprises françaises, cette question risque de revêtir une sensibilité particulière dans le contexte de la loi du 26 juillet 1968 dite “loi de blocage” et du RGPD, dont l’application combinée conduit à encadrer, et parfois à refuser, la transmission de certains documents et preuves aux autorités de poursuite américaines.
Les autorités judiciaires et administratives françaises sont aujourd’hui plus vigilantes quant au respect de ces règlementations. Il importe à cet égard d’évaluer si l’intervention des autorités françaises dans le cadre de la coopération internationale peut être de nature à faciliter le dialogue avec le DOJ.
A cet égard, l’entreprise concernée pourra avoir intérêt à se rapproche de son conseil français afin d’obtenir toute précision utile concernant, en particulier, les règles applicables et les autorités françaises compétentes, préalablement à toute communication d’informations aux autorités étrangères dans la mesure où celle-ci, si elle intervient irrégulièrement, peut donner lieu en France à des poursuites pénales et administratives contre l’entreprise et les dirigeants eux-mêmes.
V. Évaluation de la conformité de l’entreprise
Le Memorandum indique que l’évaluation de l'efficacité et de l’effectivité du programme de conformité de l'entreprise, tant au moment où l'infraction a été commises qu'au moment où la décision doit être prise sur les poursuites, est prise en compte lorsqu’il s’agit de déterminer le mode de résolution appropriée d’une affaire.
Cette appréciation repose notamment sur le contenu du programme au regard de l’activité et des spécificités de l’entreprise, de l’autorité et des moyens accordés au responsible conformité et du niveau d’effectivité, en pratique, du programme.
Deux nouveaux paramètres doivent désormais également être pris en compte par les procureurs du DOJ au moment de procéder à cette évaluation :
(1) Les efforts accomplis par l’entreprise pour créer une culture de la conformité, en particulier au travers de son système de rémunération.
Le Mémorandum incite à cet égard les entreprises à mettre en place des dispositifs de récupération des rémunérations qui auront été versées (“compensation clawback provisions ») aux salariés impliqués dans la commission de malversations.
De nouvelles orientations seront prochainement publiées par le DOJ afin de récompenser les entreprises qui mettront en place de telles politiques internes dissuasives.
De même, il sera vérifié si l’entreprise met en oeuvre, à l’inverse, des mesures incitatives destinées à encourager les comportements respectueux des règles de conformité en son sein.
(2) La mise en place de règles internes concernant l'utilisation des téléphones personnels et autres appareils électroniques, ainsi que d'applications de messagerie.
Le DOJ souhaite ainsi que les entreprises dissuadent leurs employés d’utiliser dans le cadre de leur travail des outils informatiques personnels et des messageries autres que l’email professionnel, qui rendent plus complexe le recueil des preuves.
En particulier, pour décider s'il convient d'accorder un crédit de coopération à l’entreprise, les procureurs du DOJ examineront si une entreprise a mis en place une politique interne lui offrant la capacité de recueillir tous les documents non couverts par le legal privilege et qui sont pertinents pour l’enquête.
VI. Critères pour décider d’imposer un monitoring
Le Mémorandum énonce les critères spécifiques que le DOJ prendra désormais en compte pour décider d’imposer ou non un monitoring de conformité lors de la résolution de l’affaire. Il sera ainsi examiné :
- Si l'entreprise a volontairement révélé les faits ;
- Si l'entreprise a mis en œuvre un programme de conformité efficace et l’a testé de manière adéquate ;
- Si les malversations ont été commises de manière durable ou généralisée au sein de l'entreprise ;
- Si l'entreprise a pris des mesures correctives adéquates pour remédier aux malversations, telles que la cessation des relations commerciales ou l’éviction des salariés impliqués ;
- Si l'entreprise est confrontée à des risques spécifiques en matière de conformité, qui justifieraient alors une surveillance particulière ;
- Si l'entreprise est déjà soumise à une surveillance réglementaire ou à une autre surveillance.
En outre, le DOJ entend renforcer ses propres règles de transparence concernant le choix des moniteurs. À cette fin, les processus de sélection des moniteurs seront rendus publics d'ici à la fin 2022 et tout moniteur devra désormais être approuvé par le bureau du procureur général adjoint.
Enfin, le DOJ procèdera à une revue régulière du monitoring pendant toute la durée de ce dernier, qui pourra le cas être réduite ou prolongée si cela apparaît opportun.
VII. Renforcement de la transparence des accords de résolution
Le Mémorandum stipule que, dans la mesure du possible, les accords de résolution avec des entreprises doivent inclure (i) un exposé des faits convenu qui décrit l'activité criminelle en cause, et (ii) une discussion des considérations qui ont conduit le DOJ à conclure cet accord. Sauf circonstances exceptionnelles, ces accords seront publiés sur le site internet du DOJ.
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De nombreux associés de Quinn Emanuel sont d’anciens membres du DOJ ou d’autres autorités de poursuites ou de régulation aux Etats-Unis et dans le monde.
Les implications de ce nouveau Mémorandum varieront considérablement d’une entreprise à l’autre et selon l’industrie en cause. Pour de plus amples informations sur la façon dont le Mémorandum peut avoir un impact sur votre entreprise et votre programme de conformité en France et aux Etats-Unis, vous pouvez contacter:
Eric Russo
Email: ericrusso@quinnemanuel.com
Tel: + 33 1 74 31 35 20
19 septembre 2022
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